Tribune demopolis – à la croisée des pratiques, l’escalade éclaire la concertation
Demopolis Concertation
20 octobre 2025
À l’heure où les territoires oscillent entre attentes citoyennes et impératifs de transition, la concertation s’impose comme un art patient qui relie des voix diverses pour avancer ensemble. Aller chercher l’inspiration du côté de l’escalade éclaire cette exigence. Dans le silence concentré des salles de grimpe, une métaphore s’impose naturellement, celle de l’esprit de cordée.
Un soir de semaine, la salle vibre doucement. Les cordes coulissent, les chaussons frôlent le sol, des consignes s’échangent à voix basse. Les mains se couvrent de magnésie, les regards se répondent. Le premier pas sur la paroi n’engage jamais une personne isolée, il repose sur une confiance partagée faite de gestes sûrs et de vigilance réciproque. Ce moment dit quelque chose de notre manière d’avancer collectivement. La réussite n’appartient pas à celui qui grimpe en tête mais au duo qu’il forme avec l’assureur, puis au groupe qui installe et contrôle les relais. La réussite de l’ascension ne s’énonce pas dans l’exploit individuel, mais dans la réussite collective.
Cette interdépendance des individus appelle à une exigence collective, celle des règles nettes et tenues. En paroi, on répète les consignes, on vérifie le nœud, on annonce chaque mouvement important. Une démarche de concertation réclame une rigueur comparable, avec un périmètre explicite du débat, des modalités de participation lisibles et une transparence sur ce qui sera réellement pris en compte. Sans ces règles du jeu, la confiance ne peut s’épanouir et c’est le collectif qui en pâtit.
Lire la voie précède l’ascension. Le grimpeur repère les prises franches, les zones lisses, les passages qui coûteront de l’énergie. La concertation suppose la même attention au terrain. Un diagnostic territorial sérieux observe les fractures sociales, la mémoire des lieux, les dynamiques d’acteurs, puis en déduit des points d’appui et des zones de fragilité. Cette lecture évite l’acharnement sur de mauvaises prises et oriente l’effort là où le collectif peut réellement progresser. Bien sûr, le risque fait partie du jeu, la chute n’est jamais exclue mais elle est apprivoisée par l’assurage, l’apprentissage et la répétition. Dans l’espace public, les controverses ne se dissipent pas par décret. Elles s’apprivoisent par des formats alternatifs lorsqu’un atelier s’enlise, par une médiation ciblée quand un point bloque, ou par un retour d’expérience partagé pour transformer l’incident en ressource commune. La réussite collective naît de la prévoyance, de la capacité à absorber l’aléa et de la confiance entretenue pas à pas.
Parce que l’esprit de cordée n’est pas une image décorative mais une méthode, chaque geste de la concertation trouve son équivalent sur la paroi, et c’est en assumant cette correspondance que l’action devient concrète et sûre. Comme le grimpeur qui love sa corde, refait son nœud de huit, vérifie l’assurage et clippe le premier point avant le pas délicat, l’équipe réserve la salle plusieurs semaines à l’avance et teste l’acoustique, installe une signalétique depuis l’arrêt de bus et prévoit un accueil sans file, contrôle la sonorisation et la visioconférence, dispose les chaises en îlots pour éviter les monologues, prépare un glossaire clair et un plan du projet lisible, puis publie dès le lendemain une présentation et un compte rendu consultables sur mobile, tout en s’assurant que les personnes éloignées reçoivent un résumé imprimé en mairie ou lors d’une permanence délocalisée. A la manière des mousquetons correctement orientés et des relais contrôlés, ces détails invisibles soutiennent la progression et rendent la décision possible, pour soutenir ce qui importe, aller au bout de la voie.
En somme, l’esprit de cordée offre quelques repères simples. D’abord, une intention claire d’avancer ensemble, posée et rappelée à chaque étape. Ensuite, l’interdépendance assumée signifie que la réussite est celle de la cordée, jamais d’un seul grimpeur. Viennent des règles du jeu claires et partagées, stabilisées avant l’action et tenues dans la durée. Lire attentivement la voie, c’est regarder le territoire, les acteurs et les mémoires, pour orienter l’effort au bon endroit. Mesurer et intégrer les risques évite les ruptures et transforme l’imprévu en apprentissage. Enfin, agir de manière continue, progressive et incrémentale entretient l’adhérence en ouvrant, écoutant, restituant, décidant, puis ajustant. Ce cycle, s’il est tenu avec rigueur et sobriété, permet au collectif de franchir les passages délicats sans perdre la confiance ni le cap.
Par Hugo BERROCHE et Thomas RIBEIRO, consultants de Demopolis Concertation.