« Pour en finir. avec les idées reçues sur la démocratie participative » : texte écrit par les membres du conseil d’administration de l’ICPC
L’ICPC a organisé une rencontre le 29 janvier dernier, autour de l’essai écrit par Manon Loisel et Nicolas Rio « Pour en finir avec la démocratie participative » (1). L’ouvrage a suscité de vives réactions au sein de la communauté de praticiennes et praticiens, engagés au quotidien dans l’amélioration de la démocratie participative.
L’Institut de la concertation et de la participation citoyenne (ICPC) est un réseau de deux mille personnes, agents de l’Etat et de collectivités, consultants, membres d’associations, chercheurs… qui par leurs échanges, réfléchissent à leurs pratiques et les améliorent en permanence. Ils sont lucides sur les conditions à réunir, pour que la participation citoyenne transforme la vie des gens, et leur rapport à la politique, pour qu’elle agisse sur les blocages institutionnels. On peut regretter, bien sûr, que cette place reste trop marginale dans de nombreux contextes. Mais chercher à casser brutalement ce mouvement, comme y invite le titre de l’ouvrage, est-il la bonne solution ? Pour qu’elles soient réalistes et crédibles, il faudrait que les alternatives, esquissées par les auteurs, s’appuient sur des analyses approfondies et non généralisées, à partir de quelques rares expériences, qui mélangent des échelles d’actions différentes. Jeter le bébé avec l’eau du bain, sans faire d’analyse précise des avancées et des plafonds de verre, semble aujourd’hui dangereux, face notamment à une possible réversibilité des démarches, au regard des résultats des élections à venir, ou au nom d’une nécessaire simplification ou efficacité administrative.
Le développement de la démocratie participative doit être, bien sûr, réinterrogé, analysé, évalué, mais surtout soutenu et accompagné avec sérénité, honnêteté et professionnalisme. C’est parce que des praticiens font bouger les lignes, au sein de leurs structures, ou en les accompagnant, que la réflexion sur la place des citoyennes et citoyens dans notre démocratie s’est renforcée dans les processus de décision et dans de nombreux secteurs de l’action publique. C’est grâce à leur mobilisation au sein de centaines, voire de milliers de conseils citoyens, assemblées, conventions, espaces participatifs, sur des politiques publiques et des projets… que la coopération, le dialogue et l’impératif délibératif ont commencé à apparaître dans le paysage institutionnel et démocratique.
Balayer d’un revers de main les milliers d’expériences passées ou présentes, imparfaites mais porteuses d’effets, menées souvent dans l’adversité, par des praticiens et des citoyens sincères et engagés, ne semble ni respectueux, ni surtout efficace. En un moment politique où la démocratie est attaquée de toute part et où la participation citoyenne régresse sur différents fronts (CNDP, enquêtes publiques…), vouloir « en finir avec démocratie participative », au nom d’une prétendue absence totale d’effets sur la décision -qu’il resterait à démontrer plus scientifiquement-, ne fait que rajouter au marasme actuel. Certes, ce n’est pas forcément l’objectif des auteurs, mais c’est l’usage qui est fait, par certains, comme une autorisation à ne plus faire de démocratie participative, plutôt qu’à la « réarmer »…
Les pratiques participatives construisent et produisent des espaces de dialogue et d’expérience démocratique. L’ouvrage semble ignorer qu’elles ont contribué à déjà transformer la manière dont les décisions étaient auparavant prises : en obligeant les autorités à informer les citoyens, à anticiper et à répondre a minima aux critiques et à mieux justifier publiquement leurs choix. Vouloir « en finir avec la démocratie participative », c’est aussi occulter ses effets sur les milliers de citoyennes et citoyens qui s’engagent dans ces démarches et en sortent, parfois frustrés, mais toujours porteurs d’une autre compréhension de la chose publique, une autre vision des institutions et de l’action publique, ainsi qu’une confiance plus forte en leurs capacités et leur pouvoir d’agir, avec parfois des engagements associatifs et politiques (2).
La démocratie participative a grandi au fil des années, a investi les régions, départements, communes et intercommunalités : de multiples programmes et projets, en plus grand nombre que l’ouvrage le dit, construisent du dialogue, du collaboratif, du commun. Plus aucun élu, ou presque, n’ose désormais réfuter publiquement la nécessité d’associer les citoyennes et citoyens à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de politiques publiques. Nous observons, quotidiennement, de véritables avancées dans la reconnaissance de la légitimité des citoyens, non experts et non militants, à s’informer, débattre et donner leur avis, en discutant avec des gens différents d’eux, sur le monde dans lequel ils veulent vivre : ces démarches créent des espaces de dialogue, de compréhension de l’autre et de capacité de désaccords pacifiques, qui font cruellement défaut dans nos sociétés, de plus en plus polarisées.
Il s’agit d’un changement significatif de culture politique, qui s’est accompli en France depuis ces 20 dernières années.
Depuis peu, la démocratie participative s’est inscrite dans l’agenda politique national, certes, avec des avancées chaotiques. Mais qui pourra encore dire que les citoyens ne sont pas suffisamment compétents pour penser des sujets complexes, après les Conventions citoyennes sur le climat et sur la fin de vie ? Qui osera dire que les citoyens ne veulent pas participer lorsque plus de 2 millions l’ont fait dans le cadre du Grand débat ? Qui pourra désormais contester que le tirage au sort peut-être une manière d’obtenir une meilleure représentativité sociologique dans le processus de décision ?
Nous ne nions pas le caractère décevant de ces expériences, au plan de leurs effets sur la décision. Mais faut-il incriminer la démocratie participative ou la fermeture de notre système représentatif (3)?
Pour toutes ces raisons, il nous semble que vouloir faire purement table rase de la démocratie participative constitue, non seulement une simplification, mais aussi une provocation, dont les effets politiques peuvent être désastreux. Plutôt qu’en finir avec la démocratie participative, poursuivons nos efforts pour en dépasser les limites, en la considérant comme un des moyens de renforcer notre démocratie -dans son ensemble.
- https://democraties.media/notes-de-lecture/pour-en-finir-avec-la-democratie-participative
- 10 % des membres de la Convention citoyenne pour le climat ont été candidats aux élections municipales ou régionales de 2020 et 2021. https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/11/elections-regionales-des-citoyens-de-la-convention-climat-engages-tous-azimuts_6083724_823448.html
- A cet égard, la manière dont la Convention citoyenne sur la fin de vie voit ses propositions étudiées par le Parlement ou l’ouverture d’un débat entre organisations de la société civile (dont l’ICPC) et le gouvernement autour d’un « statut du participant », sont deux exemples qui peuvent laisser espérer.