Dans le cadre du chantier « ambitions pour la participation citoyenne pour 2026« , nous avons le plaisir de vous inviter au 3ème grand entretien avec Ombelyne Dagicour le 27 janvier 2025 en distanciel.
Ombelyne dagicour est 1ère adjointe de la ville de Poitiers, en charge de la démocratie locale, de l’innovation démocratique et de l’engagement citoyen
Entre le collectif citoyen et l’exercice du pouvoir municipal
J’ai toujours eu cette appétence pour “le politique” plutôt que “la politique”. Pour moi, la démocratie directe c’est pouvoir se réapproprier une forme de souveraineté démocratique : tout citoyen a une égale capacité et une légitimité à pouvoir participer aux choix impactants, à pouvoir décider. C’est l’idée d’un autre partage du pouvoir, qu’un rééquilibrage du pouvoir peut exister ; ce n’est pas exactement la même chose que le pouvoir d’agir.
L’expérience de Poitiers Collectif a été déterminante dans la manière d’envisager aujourd’hui mon rôle d’élue. Poitiers, c’est l’une des plus grandes villes remportées par une liste citoyenne et participative. On est plus de la moitié des élus non-encartés, parmi les postes d’adjoints. Le parti pris était de dire : ”le projet avant les têtes, avant la tête”. Nous avons repensé nos mécanismes de démocratie interne au sein du mouvement. Ça passait par des pratiques, l’exigence de transparence, d’animation de chacune de nos réunions, pour que les décisions soient issues de délibérations et prises collectivement. On avait dessiné en 2020 un schéma de gouvernance en réfléchissant à la place du citoyen dans la gouvernance municipale. Depuis, nous devons tenir cette ligne de la décision collective et de la démocratie en interne.
Le fait d’être première adjointe, c’est un symbole, parce que souvent, les premiers adjoints, c’est ceux qui font les choses sérieuses (les finances et les RH). C’est à la fois un message en externe vis-à-vis des habitants, des partenaires, des associations, mais surtout en interne vis-à-vis de l’administration. On a dû repenser complètement cette dernière avec nos ambitions politiques, de transition écologique, de justice sociale et de renouveau démocratique. On a créé un service, une mission de participation citoyenne qui n’existait pas. Aujourd’hui, j’ai six agents qui travaillent sur ces missions avec moi.
On s’est beaucoup formés, élus et agents, sur l’échelle de la participation citoyenne, sur comment construire des séquences démocratiques avec les habitants. On a organisé un réseau de référents au sein de l’administration pour faire en sorte que cette culture de la participation citoyenne puisse infuser dans les différentes politiques publiques.
Allier les anciens dispositifs aux innovations
Poitiers Collectif est constitué d’une majorité de citoyens ; rapidement nous ont rejoint EELV, Génération.S, et dernièrement le Parti communiste. Il a fallu se mettre d’accord sur la posture, les pratiques avec ces différentes formations politiques.
On a des conseils citoyens et des conseils de quartier à Poitiers. On a fait le bilan de ces instances quand on est arrivé et on s’est rendu compte que peu sont représentatives de l’ensemble de la population. À partir de ce bilan, on a essayé de mettre en place une formation des conseils citoyens pour changer de posture, afin d’éviter une logique de guichet.
Je me suis surtout concentrée sur l‘accompagnement de collectifs d’habitants, parce qu’on se rend bien compte que des formats conseils citoyens, conseils de quartier ou associations ne sont plus forcément des formes adaptées en termes d’engagement. Une grande partie de la population recherche plus de flexibilité dans ses formes d’engagement, plus d’horizontalité. Des collectifs d’habitants depuis 2020, se sont organisés sur différents quartiers de la ville autour de projets concrets. On a aussi les tables de quartier. On s’est d’abord servi des budgets participatifs, à hauteur de 800 000 euros, et ça a été un moyen de financer, pour des collectifs d’habitants, des projets en investissement à l’échelle du quartier. On a ensuite ajouté la possibilité de financer des projets à l’échelle de la ville de Poitiers. Puis nous avons rajouté des temps d’ateliers permettant de favoriser le collectif, la création de liens et d’être moins dans des demandes individuelles.
Depuis un an, on a remis à plat le dispositif des budgets participatifs avec des porteurs de projets, et on l’a fait évoluer en créant une enveloppe de fonctionnement à hauteur de 50 000 euros pour commencer. C’est une expérimentation depuis cette année.
Des mobilisations de collectifs d’habitants nous ont fait bouger et nous ont amené à devoir revoir notre copie. Par exemple : un chantier de réalisation d’une piste cyclable, le Pont-Neuf. Suite à une mobilisation citoyenne très importante, nous sommes revenus sur la manière dont on envisageait de réaliser cette piste cyclable.
Nous avons aussi lancé un droit d’interpellation citoyenne qui est actif depuis un an. C’est ce qu’on a trouvé de plus abouti pour reconnaître le désaccord, la conflictualité, l’interpellation citoyenne comme faisant partie de la démocratie locale et d’une démocratie qui est vivante. Cela permet de mieux centraliser les doléances, les désaccords, de pouvoir assurer un suivi plus efficace de ces désaccords. La vertu que j’y vois, c’est d’accepter le désaccord et de le replacer dans un cadre de débat public.
Pour nous, l’éducation populaire est une manière aussi de répondre à des besoins dans une société fragmentée, je crois qu’on ne pourra pas reconstruire la cohésion sociale sans l’éducation populaire. La ville de Poitiers en 2022 a été à l’initiative des premières Rencontres nationales de l’éducation populaire.
Il y a aussi un soutien aux associations, en augmentant les subventions depuis 2020. Je ne sais pas si on sera en capacité de continuer à le faire, malheureusement, vu la situation financière dans laquelle nous sommes. On offre depuis 2020 tout un programme de vacances, de séjours, pour rendre possible ce temps libéré, ce droit au loisir. On a accueilli presque 15 000 enfants et familles, ce qui favorise la mixité sociale à travers ces séjours. Et on a étendu le dispositif l’an dernier aux seniors pour lutter contre l’isolement….
La mise en place et les particularités des dispositifs innovants
L’objectif de l’Assemblée populaire était vraiment d’aller plus loin que de la consultation. Pendant la campagne, on avait imaginé que cette assemblée serait composée de 150 citoyens, un tiers tirés au sort, ⅓ d’acteurs du territoire et un autre tiers d’acteurs de terrain, notamment parmi les instances représentatives de quartier. On ne veut pas que les élus soient à côté mais bien qu’elle soit partie du circuit décisionnel local.
En réalité, c’est très difficile de pouvoir le tenir, parce que le cadre juridique actuel ne permet pas d’avoir une assemblée décisionnaire, mais uniquement des assemblées consultatives. C’est une assemblée qui repose sur le principe du débat contradictoire et du vote. Son objectif est de co-construire des décisions, et les élus, nous sommes partie prenante de la délibération. L’ensemble des sujets présentés à l’Assemblée citoyenne , sont des sujets que nous pouvons mettre effectivement en place ; en amont, il y a tout un travail de préparation sur les arbitrages à faire lors des grandes journées citoyennes ouvertes à tous : ce sont des grandes journées d’assemblées, d’agoras, qui commencent le matin et qui terminent le soir à 18h. La co-décision et la délibération se font vraiment par des allers-retours entre élus et habitants, d’abord en amont, avec un petit groupe de propositions, qui a pour objectif d’identifier des experts, d’identifier les arbitrages qui seront à faire lors des grandes journées d’Assemblée. Et lors de l’Assemblée, nous, élus, on s’est assuré que tout ce qui est discuté c’est possible.On ne reviendra pas dessus ensuite.
Le préfet était très préoccupé du fait que nous, élus, nous puissions nous dessaisir de notre pouvoir de décision. Il nous a demandé de retirer la délibération. : on a réécrit les principes de fonctionnement de l’Assemblée citoyenne. L’article 131-1 dit qu’il est possible, sur certains projets, de pouvoir associer le public à l’élaboration d’un projet, d’une politique publique. Le terme associé étant suffisamment large pour laisser une marge d’interprétation. Donc nous faisons du travail associé. C’est ce qui a permis de contourner ce premier obstacle juridique.
Le deuxième obstacle est venu quand on a décidé d’indemniser les membres de l’Assemblée citoyenne. On a dû bricoler, puisqu’en l’absence d’un statut du citoyen participant qui permette de reconnaître cette participation citoyenne et de donner du temps, des moyens aux citoyens, on a utilisé le statut de collaborateur occasionnel du service public, en se basant sur une indemnité qui serait comparable aux jurys d’assises.
On a délibéré, et là aussi le préfet nous a demandé de retirer la délibération au motif que le statut de collaborateur occasionnel du service public ne peut pas s’appliquer à des citoyens ordinaires, mais uniquement à certaines catégories de personnes qualifiées. J’ai refusé de retirer cette délibération, au motif qu’il faut absolument défendre le droit à la participation effective de toutes et tous, y compris des plus éloignés, des plus fragiles économiquement.
Il faut jouer avec le droit, il faut continuer d’expérimenter localement, créer des brèches pour faire avancer et pouvoir amener ce changement de culture. Il faut pouvoir aujourd’hui revoir, clarifier le cadre de la participation citoyenne et le cadre juridique, dans un moment les citoyens demandent plus de participation.
Pour le tirage au sort, ce sont les élus qui font du porte-à-porte, on tire au sort des adresses. On a eu des taux de réponses à 40 % positives.On a eu une belle diversité sociologique au début, il y a une forme d’essoufflement lié à la durée, plus d’un an dans le cadre de l’Assemblée. On a revu notre dispositif pour que ce soit plus court et permettre de garder cette diversité sociologique du début jusqu’à la fin. Je pense que l’indemnisation pourrait être un levier majeur pour réjouir cette problématique de la déperdition.
Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) local est un dispositif qui aujourd’hui dans le droit français n’existe pas, donc on a bricolé en combinant le droit de pétition qui existe dans la Constitution Française (l’article 72-1) et le référendum local. En combinant les deux, on arrive à ce qui ressemble le plus à un référendum d’initiative citoyenne. On ne parle pas de RIC, parce que si on avait souhaité délibérer pour créer ce nouveau dispositif, on n’aurait pas pu, on aurait été empêchés vis-à-vis de l’État. Donc il y a un vrai rapport de force avec l’État pour permettre de délibérer et surtout de faire advenir une démocratie d’interpellation qui soit pleinement reconnue comme étant un outil de démocratie locale.
Envisager 2026
On imagine que je vais me représenter, mais ce ne sera pas moi qui le déciderait puisque ce sera le collectif qui décidera qui est candidat, qui ne l’est pas. Dans l’idéal, pourquoi pas repartir sur une délégation comme celle-ci, j’y ai trouvé beaucoup de sens, une expérience extrêmement enrichissante, surtout humainement, mais aussi intellectuellement dans ce mandat. Mais l’idée de cumuler des mandats me titille beaucoup, je pense qu’il ne faut pas s’engager dans cette voie-là.
Lors de cette année de campagne, il faudrait aller encore plus loin sur les questions de démocratie participative. Pourquoi pas penser un nouveau projet dans lequel il n’y a plus besoin d’assemblées citoyennes, en infusant la co-décision et la co-construction partout dans nos décisions municipales, dans le circuit de gouvernance municipale, ou en tout cas, sur des très grands projets. J’aimerais co-construire une future Programmation Pluriannuelle d’Investissement(PPI) avec des citoyens. Ce serait une belle étape.
Concernant le réseau Actions Communes, j’en fais partie, je suis militante et très investie. Il a pour vocation de faire émerger ce qu’on pourrait appeler une forme de municipalisme à la française.
En 2026, il y a un objectif électoral très clair de renforcer, multiplier le nombre de villes qui seraient remportées par des listes citoyennes aux élections municipales. C’est un objectif qu’on se donne dans le cadre de ce réseau Action Commune. Le parti pris de ce réseau, c’est vraiment de redonner du pouvoir aux communes, et en partant du fait que la démocratie se construit d’abord et avant tout par le local. Ça passe par la réappropriation des finances publiques ou des projets structurants avec l’idée démocratique.
Il faut engager cette transformation par le bas, en permettant à des citoyens, à des habitants, de se réapproprier vraiment leurs institutions au niveau local. Moi, je pense que dans ce cadre-là, le réseau Action Commune a aussi tout un plaidoyer et une action à mener en faveur d’une décentralisation beaucoup plus poussée en faveur des communes, et notamment sur les questions des services publics, qui sont aujourd’hui plus que menacés.