Penser les participations urbaines par les sciences de l’information et de la communication

Appel à contribution de la Revue française des Sciences de l’information et de la communication

Depuis quelques décennies, notamment avec les premiers travaux de Sherry Arnstein des années 60, la participation citoyenne est au centre des préoccupations de divers acteurs de l’action publique et du monde universitaire (politiques, mouvements associatifs, citoyens, juristes, chercheurs…). Comme un objet d’étude multifacettaire, pouvant concomitamment être assimilé à un processus multiscalaire (s’exerçant à différents niveaux en allant du local à l’international), un enjeu démocratique, un levier d’action pour instaurer l’entente et le consensus ou, au contraire, visibiliser et cristalliser les conflits, les désaccords et le pluralisme, la « participation » a fait couler beaucoup d’encre. C’est ainsi qu’après les premiers travaux des années 60 et 70, mobilisant le prisme de la « théorie politique » quant à son étude, d’autres approches scientifiques ont par la suite été convoquées pour la penser : sociologie, psychologie, droit, études urbaines (Blondiaux et al., 2011). Plus récemment, certains travaux en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) ont analysé également les discours d’accompagnement du renouvellement urbain, mettant en scène la figure de l’habitant comme acteur actif (Raoul, Noyer, 2008).

Axé sur ce domaine de l’urbain, pris ici, au-delà de toute opposition simpliste du type urbain/rural ou urbain/architectural, comme un construit socio-spatio-temporel complexe (Paquot, 20031 ; Khainnar, 2021), le présent appel à articles, quant à lui, a pour dessein d’aborder les processus participatifs avec une focale info-communicationnelle. Il convient ainsi plus largement de revenir sur un postulat scientifique consistant à considérer qu’il n’existe pas d’objets d’étude qui sont dans ou hors le champ des SIC (Mucchielli, 2006, Ollivier, 2000, Davallon, 2004, le CNU 71). Une approche info-communicationnelle des participations urbaines ne peut que constituer un objet d’étude fécond à divers égards (épistémologique, méthodologique, praxéologique…). Une telle approche, comme le spécifie d’ailleurs le texte du CNU ci-dessous, porterait sur les stratégies d’acteurs, leurs processus d’écrilectures (Broudoux, 2018), les représentations sociales, la construction du sens et les significations partagées.

En effet, avec la montée accrue de la conscience durabiliste (Rifkin, 2016), l’accroissement des injustices et inégalités socio-urbaines, et le triomphe du paradigme de la technologie, à travers l’irruption du numérique dans les différentes sphères de l’activité humaine, comme par exemple et entre autres la santé, l’éducation, le tourisme, ou l’économie (Castells, 2002 ; Rallet et al., 2007 ; Musso, 2008), de nouvelles voix et voies, le plus souvent provenant de la base et représentées par des acteurs profanes et amateurs, soulèvent et s’esquissent pour clamer plus de liberté, de justice, de sobriété (énergétique, notamment) et de participation à la fabrique urbaine. Ces processus participatifs se veulent l’antidote à toutes les dérives des anciennes matrices de l’ingénierie publique classique qui opéraient le plus souvent dans des logiques silotées et sectorisées. Quels sont les “nouveaux” métiers de ces processus participatifs ? Comment s’inventent-ils et se professionnalisent-ils ? Quels rapports (contractuels, fonctionnels, communicationnels, collaboratifs, conflictuels…) existent-ils entre eux ? À part les domaines historiques de l’exercice des processus participatifs (urbanisme et aménagement de l’espace, revendications politiques, écologie…), quels sont les terrains d’application “émergents” requérant de la participation pour instaurer des modes de gouvernance avec des périmètres élargis d’acteurs impliqués ? Dans le cadre des nouvelles politiques de la ville, quels sont les champs disciplinaires mobilisés pour mieux cerner le fonctionnement et les normes desdits terrains ? Quels sont les outils-protocoles-méthodes-instruments à mettre en œuvre pour initier, conduire et gérer les processus participatifs ? Ces derniers questionnements peuvent notamment interroger de surcroît le concept de « participation matérielle » (Marres, 2012), ayant une certaine portée heuristique pour décrire la volonté d’inciter des publics à agir sur certaines dimensions d’un problème donné (rôle de la démocratie dans l’approche pragmatiste selon Marres), concernant des sujets relatifs à la dimension matérielle de l’habitat ou du quartier.

Ainsi, dans une perspective qui soit, d’une part, cumulative des recherches déjà entamées et, d’autre part, ouverte à de nouvelles explorations des objets impensés jusqu’ici (ou à de nouvelles problématisations des objets préalablement pensés), le présent appel à articles ambitionne de questionner info-communicationnellement les participations urbaines à travers trois axes. Sans qu’ils ne soient étanches les uns aux autres, et pouvant convoquer des approches théoriques et/ou empiriques, lesdits axes concernent respectivement les acteurs, les objets-terrains-disciplines scientifiques et les méthodes-protocoles-instruments des participations urbaines. En effet, ce cadrage thématique, ayant juste vocation à aiguiller les contributeurs, part du principe que les démarches participatives sont pensées, conçues, mises en œuvre et gérées par des acteurs. Ces derniers travaillent sur une pléthore d’objets (processus délibératifs, décisionnels, collaboratifs, conflictuels…) portant sur divers terrains d’application (la politique, les préoccupations environnementales, l’urbanisme et l’aménagement de l’espace, les problématiques économiques liées au travail, au chômage…) qui peuvent être approchés et analysés par une multitude de regards scientifiques appartenant à la batterie des SHS. Cela ne peut pas se faire sans recourir à des méthodes-protocoles-instruments, qui ne cessent de s’inventer, pour performer les démarches participatives. Ainsi, les contributions attendues sont censées apporter plus précisément des éléments de réponse aux axes ci-après.

Axe 1- Les acteurs de la participation et leur professionnalisation

Ce premier axe invite à se pencher sur l’identification, les rapports et les stratégies des acteurs œuvrant dans/pour/sur les processus participatifs. Quels liens peut-on observer entre les commanditaires (politiques, collectivités…) et les divers publics-cibles (habitants, citoyens, bénéficiaires des politiques et services publics, consommateurs, mouvements associatifs…) ? Si les différents publics-cibles sont des acteurs à part entière des processus participatifs, quels sont les motifs de leur engagement ? Qu’en est-il, de l’expertise dite profane et de la montée en compétences du savoir citoyen (Nez, 2011) ? De surcroît, dans un contexte marqué par l’accroissement du marché de la démocratie participative (Mazeaud, Nonjon 2018), quels sont les rôles et postures des spécialistes en communication-animation-participation (agences, publicitaires, designers, consultants, services internes des collectivités) ? De même, quelles places des chercheurs et universitaires peuvent-ils occuper dans des démarches participatives (concepteurs de l’ingénierie participative, animateurs et/ou garants et/ou observateurs et/ou évaluateurs…) ? Et plus généralement, comment s’inventent, se professionnalisent, se socialisent et évoluent les nouveaux métiers des participations urbaines ?

Axe 2- Les objets de recherche, les terrains d’application et les disciplines scientifiques des participations urbaines

S’inscrivant dans une logique systémique, visant à analyser dans un jeu interactionnel les trois volets (objets, terrains, disciplines), ce deuxième axe porte sur les objets de la participation (processus d’expertise, de délibération, de prise de décision, de codéfinition, du partage des rôles et du pouvoir, d’inclusion-exclusion de certaines catégories d’acteurs vulnérables : immigrants, minorités…). Aussi, il est question de réfléchir sur les terrains d’application où les processus participatifs opèrent (au-delà des terrains historiques (politique, climat, écologie…). Des réflexions sur des terrains « émergents » sont attendues. Les divers modes d’urbanité peuvent ici être pris comme exemple à l’instar de ce qui est entrepris par les « communautés créatives », au sens de (Manzini, 2014) : jardinage collectif, agriculture vivrière, apprentissages par les pairs… Enfin, les disciplines scientifiques et, surtout, leurs dialogues et rapports (de confluence conceptuelle, de divergence paradigmatique, de richesse méthodologique…), sont à interroger pour apporter des éclairages sur les différentes facettes des processus participatifs (d’autant plus que les recherches scientifiques sur la participation prennent l’allure d’un rhizome (Deleuze dans (Blondiaux et al, 2011)). Quel (s) sont les regard(s) scientifique(s) porté(s) sur un quelconque acteur (individuel et/ou institutionnel) ? Sur ses liens et rapports à l’altérité (Wolton, 2018) ? Quel appareillage intellectuel, en termes de concepts-paradigmes-méthodologies, mobiliser pour approcher tel ou tel phénomène participatif (à l’échelle de l’individu, du groupe, de la foule…) ? Quel rapprochement, en termes de ressemblance/dissemblance, peut-on élaborer entre les divers terrains d’application où les processus participatifs se manifestent ?

Axe 3- La procéduralisation de la participation

Ce dernier axe interroge le « comment » de la mise en place des processus participatifs au travers de la pléthore des méthodes déployées par les différents acteurs. En effet, dans un contexte idéologique en faveur de la coproduction avec les usagers au nom de la « maîtrise d’usage » (Vulbeau, 2014), nous assistons depuis quelques années au fleurissement des « démarches centrées usager ». Cela afin de réhabiliter le statut de ce dernier qui, pendant longtemps, est resté cantonné dans la figure d’un simple spectateur. Quels sont les outils-protocoles-méthodes-instruments-dispositifs déployés/à déployer pour conduire et gérer des démarches participatives ? Quelle place pour les TIC (l’audiovisuel, la réalité virtuelle et augmentée, le BIM, par exemple) dans ces dynamiques participatives (Le Corf 2023) ? Qu’en est-il de l’arsenal des méthodes du design, notamment celui des politiques publiques (innovations ascendantes par le design, processus d’idéation, essai-erreur-retour en arrière, prototypage rapide, jeu de rôles, simulation…) ? Comment les TIC participent-elles à la (re)définition des sujets dont il faut parler ? Quelle place reste-t-il pour le partage d’expériences individuelles permettant de transformer un problème social en problème public ? Quels sont les impacts et limites sur les publics “usagers” et la constitution du sujet à discuter ? Nous entendons ici par public comme chez John Dewey (Dewey, 2003 ; Zask, 2008) une communauté d’enquêteurs et non un groupe de participants à un dispositif participatif. Il convient de s’intéresser ainsi à l’émancipation d’un groupe et à sa constitution en sujet « politique » et pas seulement aux logiques d’agrégation institutionnelle de citoyens autour d’un dispositif. Enfin, en dépit des discours d’accompagnement des participations urbaines mettant en scène l’idée de partenariat avec les usagers et proclamant la coproduction, voire la codécision, quelle pérennité peut-on observer dans les rapports étroits entre participation et communication (Quéré, 2014 ; Monseigne, 2009) ? Dans quelle mesure et dans quelles situations certaines démarches dites participatives, s’appuyant sur diverses méthodes et outils, peuvent-elles s’accompagner d’un « artifice délibératif » (Romeyer, 2009) ?

Calendrier et consignes aux auteurs

  • Publication de l’appel : mai 2024
  • Envoi des articles : 1er novembre 2024
  • Retour aux auteurs : 28 février 2025
  • Publication du numéro : mai 2025

Les articles complets sont à envoyer à

  • Smail Khainnar – smail.Khainnar@uphf.fr
  • Jean-Baptiste Le Corf – jean-baptiste.lecorf@univ-rennes2.fr
  • et Stéphanie Laurent-Parravanos – steflaurent@me.com

Les consignes aux auteurs sont disponibles sur le site de la RFSIC.