C’est depuis l’architecture et l’urbanisme que je me suis impliqué dans le vaste chantier de la participation au début des années 80. D’abord dans la mouvance des GAM, Groupes d’Action Municipale, à l’origine de projets d’urbanisation expérimentaux, puis dans le cadre de la Politique de la Ville sur les projets de réhabilitation, puis, sur les projets d’éco-quartiers qui aiguillonnent maintenant le renouvellement de la ville. J’ai été ainsi tour à tour concepteur, puis animateur d’« espaces publics de débat ». Le mouvement participatif étant alors très peu accompagné par la recherche, on m’a rapidement demandé de consigner, de raconter ces expérimentations, récits qui sont devenus des germes méthodologiques, et même de premières approches évaluatives. Ma posture professionnelle en a été bouleversée, passant de celle d’un concepteur appuyant son projet sur une meilleure prise en compte des besoins des usagers, à une implication militante et politique où le projet urbain est devenu prétexte à l’animation de nouvelles formes de démocratie.«« Les z’habitants »» en particulier, à force de me montrer les difficultés qu’ils rencontrent à avoir droit à la parole et à être pris au sérieux dans l’expression de leurs compétences, m’ont poussé à chercher des moyens concrets et efficaces de ré-équilibrer les forces entre les élus, les professionnels et les habitants. De plus, les principes de nécessité d’une régénération de notre démocratie représentative me sont apparus principalement fondés sur l’exigence de la prise en compte des plus exclus du contrat social. Notre société post-état providence sait faire rouler la plupart des trains à l’heure, que ce soit pour le logement, la santé, les subsistances, l’éducation, les droits fondamentaux. Mais pour certains, cela reste des droits inaccessibles, et ce sont eux qui ne sont justement pas pris en compte dans le processus de construction du commun.
Qui plus est, ils sont absents (exclus, encore ?) des processus de participation proposés par l’institution. Bien trop souvent, les municipalités, les autres collectivités territoriales et l’institution étatique ne sont pas crédibles pour mettre ces populations en confiance suffisante pour qu’elles y perçoivent un intérêt.Pourtant, s’il y a raison urgente à l’organisation d’assemblées participatives, n’est-ce pas pour lutter contre l’éclatement d’une société qui conforte les solutions communautaristes ? Pour revenir au fondamental démocratique il nous faut «faire société» en construisant des espaces d’altérité où chacun peut s’initier à l’étrange étranger.C’est sur ces questions que nous avons créé le Parlons-en, expérimentation multiforme proposée par des citoyens en question et en recherche et adoptée par des citoyens en galère. Ceux-ci ont investi le lieu et l’ont pérennisé, je devrais dire institué, pendant plus de dix ans, avec une kyrielle de projets qui ont réellement changé le quotidien, ou les représentations, des «habitants de la rue» de Grenoble, et de ceux qui les côtoient. Ce sont des projets adaptés, minuscules ou conséquents, autonomes ou partenariaux, mais tous sont restés en lien direct avec les gens qui avaient lancé la question, fait collectivement le contour d’un problème, imaginé diverses solutions, depuis un témoignage ou une résistance de leur vie personnelle. à la veille d’une nouvelle séquence du Parlons-en qui dépasse son rythme intermittent et sans domicile fixe pour s’investir dans un local attitré et permanent, il m’a semblé important d’en faire le récit – même partiel et partial puisqu’établi de mon seul point de vue – pour formaliser un point d’appui aux évolutions nécessaires à porter. C’est aussi, dans une histoire de la participation pleine de déception, d’erreurs et de frustrations, voire de trahisons, une façon de rendre compte d’une exceptionnelle réussite, pourtant très discrète, mais si concrète et enthousiasmante !