Thibaut Dernoncourt

Itinéraire

J’ai débuté dans la communication avec une première expérience auprès d’un département. J’ai été surpris de constater à quel point on se berçait d’illusions sur le pouvoir de la communication et à quel point avec des éditos et affiches on pensait convaincre des habitants que la réalité était plus belle que celle qu’ils vivaient. Pourtant, les communicants sont généralement considérés comme spécialistes de l’opinion donc j’estimais naïvement que c'était leur rôle d’alerter sur ce décrochage entre émetteur et récepteur. Cette approche communicante qui cherchait plus à contourner les problèmes que les résoudre ne me correspondait pas. Cela m’a conduit à une 1ère bifurcation.

J’ai ensuite travaillé auprès du Médiateur de la République qui a pour mission de résoudre par la médiation les litiges entre citoyens et administrations. J'ai pu appréhender la complexité voire l’incohérence de certaines réglementations mais aussi constater l’impuissance de certains citoyens face aux administrations, et vice-versa. J’ai aussi perçu la difficulté pour les agents d’être confrontés à ces situations humainement douloureuses: face aux drames personnels et l’absurdité du "système", ils n’ont finalement pas d’autre choix que de se protéger et de fermer les écoutilles.

J’ai poursuivi au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) en tant que chef de cabinet du Président Delevoye pendant 5 ans. Il avait pour ambition de faire de cette assemblée une chambre du futur et un forum citoyen, non limité à ses représentants. C’était innovant à l’époque mais pas non plus inédit : cette évolution de la 3° Chambre avait été proposée par D.Bourg, D.Rousseau, P.Rosanvallon et L.Blondiaux évidemment. Néanmoins, nos tentatives d’intégrer la participation -ce qui semblait être le sens de l’Histoire- se sont heurtées à de trop fortes résistances des acteurs. En effet, comme ailleurs, on y trouve des jeux d’acteurs, des stratégies, des réflexes de repli.. Je n’ai pu que constater de l’intérieur ce que tant de citoyens perçoivent : le décalage entre leurs représentants et eux-mêmes -paradoxe pour une institution dont la mission originelle est de représenter les forces vives de la Nation-. Et cela n’enlève rien à la qualité personnelle des conseiller.e.s. Un tel contraste m’a renforcé dans la conviction que nos institutions ont besoin d’une sérieuse modernisation et que ce fonctionnement obsolète n’est pas étranger à la crise que nous vivons depuis des années!

J’ai quitté le CESE lorsque Delevoye a perdu les élections. Fort de ces expériences, j’ai bifurqué vers la participation citoyenne incarnée par ce qu’on n’appelait pas encore civic tech. Jeunes, dynamiques, idéalistes, déterminés mais tolérants : M. Delevoye leur apportait autant que possible son soutien et un crédit institutionnel essentiel pour ces projets. En tant que chef cab je leur expliquais ensuite que leur projet était super mais qu’on pourrait pas leur filer un euro..

Message

J’ai rencontré Cyril Lage et Armel Le Coz, les fondateurs de Parlements & Citoyens, au CESE lorsque nous avions tenté (sans succès) de mettre en place une consultation en ligne auprès des citoyens. Cap collectif n’existait alors pas encore. La start-up a été créée en 2014 avec pour mission de pérenniser Parlement & Citoyens et essaimer sa méthodologie de rédaction collaborative de la loi à l’ensemble des secteurs de la société sous la forme d’une plateforme de co-construction de la décision.

En 2015, j’ai donc rejoint Cap Collectif qui commençait à décoller grâce à la consultation République Numérique qui fait encore référence aujourd’hui. J’ai participé à son développement et sa structuration. Nous avons désormais une équipe dédiée conseil de 6 personnes même si nous restons essentiellement une entreprise « tech ».

Au sein de Cap Collectif, nous cherchons à amener les acteurs à réaliser que la participation est une manière de transformer leurs pratiques. L’enjeu n’est pas de collecter des votes et des commentaires, même par millions, l’enjeu est de rendre plus ouvert et transparent, la manière dont on prend les décisions et de permettre de transformer le fonctionnement des organisations.
Si la participation se fait dans la "douleur", ce n’est pas forcément négatif, cela signifie qu’elle est transformatrice. A l’inverse, une consultation qui se passe sans heurts en interne comme en externe, c’est très probablement une consultation qui manque d’ambition : elle ne pose pas de problème car elle n’a pas pour objectif d’en révéler ni d’en résoudre.

Aujourd’hui les citoyens sont éduqués et informés, l’on ne peut pas prendre les gens éternellement pour des imbéciles. Il est absurde d’imaginer que la décision que l’on a prise tout seul, sans aucune consultation, sera acceptée de tous, applaudie par tous, appliquée par tous. C’est notre rôle d’amener les institutions à comprendre que les agents et citoyens peuvent les aider et que si on change un peu le cadre chacun peut utiliser son intelligence pour construire et non stériliser toute initiative. Il s’agit d’opérer une mutation de la culture, qui prendra forcément du temps mais qui n’est pas insurmontable. En tout cas, hors de question de se résigner !