La participation citoyenne dans les politiques de solidarité : Etat des lieux et perspectives

Auteur(s) : Anne BURSTIN Lucile OLIER Carine SEILER Membres de l’inspection générale des affaires sociales

Année : 2023

Rapport – La participation citoyenne directe dans les politiques de solidarite, etat des lieux et perspectives

[1] Levier de renouveau démocratique, instrument de la pertinence des politiques, vecteur d’un
pouvoir d’agir renforcé des personnes …, la participation citoyenne est porteuse d’ambitions
fortes. A quelques années de distance du « choc de participation » de la stratégie nationale de
lutte contre la pauvreté, l’inspection générale des affaires sociales a souhaité procéder dans le
cadre de son programme de travail à une évaluation de la place de la participation citoyenne
directe des personnes concernées dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de
solidarité.

[2] Il s’agissait d’apprécier quelle était la place mais aussi la portée de cette forme
d’implication directe des personnes dans les politiques qui les concernent, à côté des formes plus
classiques de concertation avec les parties prenantes. Et d’en tirer des enseignements, tant pour
une meilleure insertion des démarches participatives dans l’action publique, que pour une prise
en compte de leurs apports conforme aux attentes des citoyens.

[3] Au travers d’une analyse de la participation des personnes concernées dans trois politiques
publiques (politique de lutte contre la pauvreté, politiques d’autonomie en faveur des personnes
handicapées d’une part, des personnes âgées d’autre part), éclairée par un panorama plus
succinct des démarches participatives au sein des autres politiques de solidarité, la mission a
d’abord dressé un état des lieux des pratiques de participation citoyenne directe dans le champ
des solidarités. Elle a ensuite cherché à apprécier la maturité et l’effectivité de ces démarches, et
à mettre en lumière les conditions de leur plein apport, tant en termes de modalités de l’action
publique, que de prise en considération de la spécificité des publics de ces politiques. Au cours
de ses investigations, la mission a systématiquement veillé à recueillir le point des vue des
personnes concernées impliquées dans les démarches participatives.

[4] L’état des lieux donne à voir un foisonnement d’initiatives participatives, tant au niveau
national qu’à l’échelle territoriale, et une très grande variété de formats, des conventions
citoyennes récemment médiatisées, aux débats publics auto-portés, des larges consultations en
ligne aux ateliers citoyens, des comités d’usagers aux assemblées des aînés ou des enfants…, à
l’initiative de l’État ou des collectivités locales. Ces dernières sont particulièrement actives en
matière de participation citoyenne directe depuis les années 1990, en lien avec le cadre juridique
favorable de la démocratie locale.

[5] Ces démarches coexistent, sans toujours s’y articuler, avec des instances consultatives de
parties prenantes mises en place par le législateur, où les personnes concernées sont le plus
souvent représentées par les associations. La place des personnes concernées elles-mêmes y est
inégale selon les champs, en particulier s’agissant des plus vulnérables ou des usagers des
établissements et services du secteur : majoritaire au Conseil national des politiques de lutte
contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) ou dans les Conseils des personnes accueillies et
accompagnées (CNPA et CRPA), au Haut conseil à l’égalité des femmes et des hommes et
désormais au CNCPH, émergente au Conseil national de la protection de l’enfance et parfois
ténue, en particulier au Conseil de l’âge ou dans les conseils départementaux de la citoyenneté et
de l’autonomie (CDCA). La nécessité d’entendre une autre parole, nourrie d’une grande diversité
de savoirs expérientiels, pour enrichir celle portée par les associations, fonde le recours à des
démarches participatives directes de la part des autorités publiques.

[6] L’implication des personnes concernées repose sur une large gamme de démarches,
intervenant dès la conception des grands projets nationaux ou des programmes territoriaux et
jusqu’à la déclinaison la plus opérationnelle des politiques. Une grande majorité relève de la
simple consultation ou de la concertation. Dans quelques exemples cependant, les citoyens
participants sont invités à co-construire l’action publique. C’est le cas, par exemple, de certaines
démarches départementales dans le cadre du RSA, de démarches associant personnes âgées ou
handicapées à co-construire des projets en proximité ou de la récente expérimentation zéro non recours.
Le plus souvent, les modalités les plus engageantes sont liées à des objets bien circonscrits
ou territorialisés.

[7] Les apports de la participation citoyenne sont réels lorsque les conditions d’une écoute
sincère sont réunies. Rapprochement de la chose publique tout d’abord, pour les personnes qui
en sont parfois très éloignées. Affirmation d’une pleine citoyenneté pour ceux à qui elle a parfois
été déniée. Mise en lumière de besoins ou d’attentes mal mesurés, sinon, par les acteurs publics.
Rôle d’alerte sur les faiblesses voire les erreurs dans la mise en œuvre d’une politique. Incitation
au décloisonnement de l’action publique… Ces potentialités de la participation citoyenne directe
sont diverses, inscrites dans les trois registres de ses finalités, démocratique, managérial et social.

[8] La mission note cependant une très inégale appropriation des règles de base d’une
participation fructueuse, telles qu’elles ont été formalisées par les acteurs qui ont plus
d’antériorité ou d’expérience, dont la commission nationale du débat public, autorité
administrative indépendante investie dans la participation en matière d’environnement, le centre
interministériel de participation citoyenne, investi dans l’accompagnement des démarches
participatives de l’Etat, ou le conseil économique social et environnemental. Dans le champ des
solidarités, des acteurs comme le Conseil de la CNSA ou le Haut conseil du travail social ont
également mis en avant les bonnes pratiques et les exigences particulières de la participation des
publics vulnérables. Ces bonnes pratiques – et en particulier l’analyse préalable fine du contexte
et de l’objet pour définir public et modalités, la clarté du mandat de participation, la diversité des
points de vue exprimés, l’attention à accorder à ceux qui ne participent pas spontanément, la
présence d’un garant neutre, la reddition des comptes, pour expliquer ce qui a été retenu, ou pas,
et pourquoi – ne sont, de fait, pas de mise en œuvre courante. Et le choix des approches
participatives s’avère parfois amateur.

[9] L’articulation des dispositifs de participation citoyenne directe avec les formes habituelles
de représentation est en outre insuffisamment pensée, conduisant à une relative juxtaposition
plutôt qu’à un enrichissement réciproque. Il y aurait pourtant un risque démocratique à jouer les
uns contre les autres. L’expertise, la vision collective et l’inscription dans la durée de la
représentation associative comme le débat entre parties prenantes apportent d’autres
dimensions que la participation citoyenne directe ancrée dans l’expertise du vécu et une
expression plus diverse et moins tribunitienne. Les associations demeurent par ailleurs un appui
indispensable de la participation citoyenne directe, en l’accompagnant, en favorisant le pouvoir
d’agir des personnes et en les formant, en animant les groupes ressources sur lesquels s’appuient
les personnes concernées participantes.

[10] De la même façon, sont inégalement prises en compte les spécificités du public des
politiques de solidarité, personnes précaires, handicapées, enfants ou personnes âgées. Les
insuffisances notoires en termes d’accessibilité, le modèle dominant du débat d’assemblée, peu
approprié pour des personnes moins rodées à l’expression publique ou pénalisées par des
limitations fonctionnelles y compris cognitives, des formes encore trop peu développées d’aller
vers les personnes plus fragiles, en établissement ou à domicile… constituent des obstacles à une
participation des personnes concernées suffisamment plurielle et effective. De nombreuses
initiatives extrêmement créatives et intéressantes existent pourtant, tant pour inventer des
formats adaptés aux personnes qui s’expriment difficilement, que pour aménager la participation
à leur rythme et leurs capacités. Il est essentiel que ces modalités inventives soient mieux connues
et partagées.

[11] Mais par-delà la qualité procédurale des démarches participatives, ce qui importe tout
autant, c’est de mieux intégrer l’apport de la participation citoyenne au fonctionnement
politique et administratif, pour créer les conditions d’une pleine portée, ce qui constitue un défi
permanent, très dépendant du portage politique.

[12] Permettre aux potentialités de la participation citoyenne directe de s’épanouir suppose en
effet de lever certains freins au cœur des fonctionnements politiques et administratifs. Qu’il
s’agisse de la participation citoyenne directe comme d’ailleurs de la consultation des instances
obligatoires, le fonctionnement habituel des administrations n’offre pas toujours les marges de
manœuvre, ni les soutiens suffisants, pour une pleine prise en compte de leurs apports : cadre
temporel trop étroit, injonction participative aux finalités insuffisamment claires pour les agents
mêmes qui la mettent en œuvre, absence de grain à moudre (pratique, budgétaire ou juridique),
d’une part… Manque de culture participative et de professionnalisation, fragilité et éparpillement
des dispositifs dédiés de soutien d’autre part. Il est par ailleurs essentiel que les démarches
participatives les plus politiques s’ancrent dans un continuum de prise en compte systématique
des besoins et plaintes des usagers, de la dimension la plus stratégique aux aspects les plus
quotidiens. La participation citoyenne et les politiques de solidarité ont tout à gagner à la mise en
place de cercles vertueux, dont il est avéré qu’ils incitent à une participation accrue en cas de
démarches sincères et effectives, et beaucoup à perdre à des processus mal maîtrisés et déceptifs.

[13] En contrepoint de cet effort d’ajustement des fonctionnements publics, il importe
également de permettre aux publics des politiques de solidarité de conforter leur pouvoir d’agir,
de ses dimensions les plus quotidiennes d’autodétermination dans leur parcours ou leurs lieux de
vie à la participation plus collective et politique. C’est le terreau indispensable de la participation
aux politiques publiques elles-mêmes. La participation en effet ne se décrète pas ; elle doit avoir
été rendue possible pour un plus grand nombre de personnes que les quelques volontaires
aujourd’hui sur-sollicités. Cela repose sur une large action volontariste en faveur de l’expression
et de l’écoute des personnes à toutes les étapes de leur parcours, dans leurs lieux de vie, en faveur
de la reconnaissance de leurs savoirs expérientiels, du développement de la pair-aidance ou de la
co-formation des professionnels. Il importe aussi que soit soutenue en routine et solvabilisée
l’animation de collectifs de personnes concernées, au sein des structures, dans les offres
d’accompagnement ou auprès d’associations, pour que les appels à participation rencontrent
bien un public motivé, concerné et ayant appris à croire en son pouvoir d’agir au fur et à mesure
d’interactions fructueuses.

[14] La mission considère que la participation citoyenne directe répond à des enjeux
démocratiques majeurs et qu’elle est un aiguillon, nécessaire et pertinent, des politiques de
solidarité comme un facteur de cohésion sociale et d’émancipation des personnes. C’est
pourquoi elle formule des recommandations générales pour la favoriser, détaillées dans le tableau
qui suit cette synthèse, et des recommandations plus spécifiques détaillées en annexes
thématiques :
• Donner un signal politique clair, pour créer un continuum de participation au service de la
conception et du déploiement des politiques de solidarité. Une charte d’engagement
conjointe de la participation citoyenne dans les politiques de solidarité entre Etat,
collectivités locales et opérateurs poserait principes et organisation support.
• Affirmer et organiser la complémentarité entre représentation et participation en
systématisant le recours des instances consultatives, nationales et locales, à des modalités
de participation citoyenne directe des personnes.
• Renforcer l’écosystème interministériel, comme spécifique aux solidarités, permettant de
soutenir les démarches de participation citoyenne et d’acculturer / professionnaliser les
agents publics
• Systématiser des fonctionnements administratifs compatibles avec une pleine association
des citoyens concernés à toutes les étapes des politiques et apporter les moyens
indispensables pour soutenir les démarches de participation citoyenne.
• Créer les conditions pratiques d’une participation effective des plus vulnérables
(accessibilité, facilités matérielles, inventivité des méthodes) et ancrer la participation
citoyenne des personnes dans un renforcement systémique de leur pouvoir d’agir.

[15] Une grande partie de ces changements peuvent être conduits à droit constant ; d’autres
peuvent s’insérer dans des lois sectorielles, par exemple dans le domaine du Bien vieillir. Pour
autant, la mission estime nécessaire d’envisager à moyen terme une grande loi intersectorielle,
santé et solidarités qui, un peu plus de 20 ans après les grandes lois de 2002, viendrait revitaliser
les processus de participation citoyenne et conforter leur cohérence globale, tout en installant
des dispositifs de soutien renforcés. Dans l’attente, la charte d’engagement constituerait un signal
politique important. De façon plus immédiate, un texte réglementaire stabilisant les grands
principes procéduraux de qualité au-delà des exigences socle actuelles du code des relations de
l’administration avec le public et garantissant un statut aux personnes impliquées dans les
démarches de participation citoyenne est indispensable