Dans quelques jours, semaines ou mois, le « Grand débat national » aura peut-être rejoint le grand cimetière des initiatives politiques oubliées ou discréditées. Il suffira pour cela qu’il n’ait pas permis de sortir de la crise des gilets jaunes. Il se peut aussi qu’une autre crise ait pris le relais, faisant oublier à la fois le mal et son prétendu remède.
Mais même s’il devait en être ainsi, il resterait pertinent de se poser quelques questions sur le statut constitutionnel de cet objet novateur qu’est le Grand débat national. D’une part, parce que son fondement juridique ne va pas de soi. D’autre part, parce que le succès même de l’initiative – plus de 10 000 réunions, 1,9 millions de contributions déposées sur le site créé à cet effet – montre que ce type de dispositif répond à un certain besoin – que l’on appellera pour simplifier de « démocratie participative » – et que ce besoin suscitera très probablement d’autres initiatives comparables à l’avenir.
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Le Grand débat national a peut-être le tort – ou du moins la faiblesse – d’être une tentative (bien française) de la part de l’État pour contrôler ce qui se déroule naturellement dans la société « civile ». En
effet, le Grand débat national a peut-être toutes les qualités, mais pas celle d’être un contre-pouvoir. La vraie force d’un régime consiste dans la possibilité pour des contre-pouvoirs d’émerger et de soumettre ceux qui gouvernent à une véritable épreuve de responsabilité. Or, le propre d’un contre-pouvoir est qu’on ne sait jamais d’avance quel il sera et pourquoi il pourra jouer ce rôle.
Il faut aussi savoir laisser faire la société civile et ne pas être trop frileux vis-à-vis de formes de consultations nouvelles, s’épanouissant en dehors du cadre étatique et institutionnel.
Autrement, il est à craindre que la neutralisation – voire l’étouffement – des procédés participatifs résultant d’une mainmise trop visible du pouvoir exécutif ne produise l’effet inverse de celui désiré. L’échec de chaque nouveau procédé de démocratie participative pourrait être suivi d’un retour plus violent encore de formes spontanées d’expression politique : aux futurs grands débats leurs futurs gilets jaunes…
Article paru dans la Semaine Juridique Edition Générale n° 16, 22 Avril 2019, 413
Denis Baranger est professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas (Paris 2)